Edition d’auteur 4 – Le vent nous portera !

Edition d’auteur

Edition d’auteur 1 – Vive les livres moches, nuls et chers, je dis « vive les requins »
Edition d’auteur 2 – Un attentat industriel : la prise de pouvoir du non-art
Edition d’auteur 3 – Les chaînes du livre

4/ Le vent nous portera !

Edition d’auteur 5 – Problèmes résiduels
Edition d’auteur 6 – Hogarth Press II, édition d’auteur à comité de lecture participatif punk

Les nouvelles conditions

Fin du XXè siècle : un grand coup de vent souffle sur le visage de l’auteur, endormi, roulé en boule comme un chien auprès de son maître. Ce grand coup de vent, c’est la société de l’information et du tertiaire, qui crée de TOUTES NOUVELLES CONDITIONS POUR LA CREATION DE LIVRES.

On résume les problèmes :

Avant, on avait un circuit du livre solidement établi et qui

• 1/ standardisait la production,

• 2/ captait l’essentiel des profits et moyens d’existence,

• 3/ se réservait l’essentiel des choix artistiques.

Qu’est-ce qui vient faire changer ça ? Plusieurs mouvements simultanés :

Niveau conception / fabrication :

• Développement des outils bureautiques, infographiques, PAO, maîtrisables par l’auteur lui-même (tout comme les humanistes du 16è s maîtrisaient les techniques d’imprimerie).

• Existence d’un vivier de talents graphiques divers – jeunes gens autonomes ou sortis d’écoles d’art, et capables de travailler en collaboration avec des auteurs désireux de donner à leurs textes un cachet adéquat.

• PME d’impression numérique et de façonnage, prix accessibles pour les particuliers, impression domestique laser.

Niveau diffusion :

• internet. Qui change deux choses: les textes intégraux peuvent désormais être accédés rapidement ; et par ailleurs, plus besoin d’intermédiaires, le livre va direct de l’auteur au lecteur.

Du coup :

• la sélection par l’éditeur va au diable. La littérature contemporaine se sélectionne par ses lecteurs et par eux seuls, sans presse et sans intermédiaires pour frelater le processus.

• la vente se fait par correspondance, de l’auteur au lecteur, via le web et la poste.

• enfin on retrouve un auteur concepteur de livre, à très faible coût. Cet auteur s’occupe à nouveau de typo, mise en page, graphisme de couv, présentation du bouquin. Le livre entier redevient son oeuvre. Il n’a plus besoin d’aller se vendre lui-même ou de mettre son nom en couverture ou de dire des choses sur sa personne, sans lien avec les textes. Il n’a plus besoin de cacher le texte, puisque ce texte est bon ; il fournit des PDF et les couvertures en jpg pour que le lecteur puisse voir s’il désire lire ou pas. Il retrouve du pouvoir, il sourit à nouveau, il est content du contact direct, il n’est pas un produit et il ne fabrique pas un produit.

Les requins flottent à la surface et l’auteur peut nager tranquille dans le lagon.

Redesigner le livre

Les nouvelles technologies de production et de diffusion permettent de reconcevoir totalement les formes du livre.

Un texte comme Balades autour de l’axe central, 108 pages sur papier satiné 115 grammes, couverture noir et blanc sur couché 300 grammes tirée en offset, coûte 1,83 euros l’unité, quand on en tire 150 exemplaires. Il faut ajouter des frais de port d’environ 1,40 euros. Toutes les formes de ce livre n’appartiennent qu’à lui et sont pensées par rapport au texte. La féminine et élégante sobriété de la couverture, extrait d’une oeuvre d’une grande artiste contemporaine, illustrent parfaitement le propos du livre. Sa mise en page, aérée, claire, s’harmonise avec la solitude dont parle le texte. Pas de nom d’auteur ni d’éditeur sur la couverture. La pureté avant tout. Respect intégral du texte. Aucun parasitage.

C’est mieux non? On conclut donc que :

Tout pour le texte

Le livre d’auteur peut donc être le livre actuel, qu’on nettoie du parasitage éditorial, et auquel on rajoute l’habillage créatif auparavant supprimé/absent pour raisons économiques ou par manque d’ambitions artistiques. De fait, il est dorénavant démontré qu’on peut faire des livres qui ne soient pas des espaces publicitaires ambulants. Cette couv devenue un espace sursaturé d’informations éditoriales, légales et commerciales – on a oublié que ça pouvait être un espace graphique d’expression du texte. On a traité cette bizarre surface triple, ces trois faces utiles d’un cube plat en comportant neuf, comme des espaces distincts : la couv porte les noms auteur, éditeur, titre, la 4è de couv porte le prix, la bio ou le résumé ou un autre rédactionnel éditorial, la tranche enfin répète le titre et le nom d’auteur. On a oublié qu’il pouvait y avoir un puissant jeu dans l’utilisation de ces surfaces. Le texte et son esprit, son esthétique, sont les seules sources du graphisme du livre, débarrassé des mentions parasites.

Le ridicule habillage « Editions de Minuit » sur les livres des Editions de Minuit ne se justifie plus : que les responsables éditoriaux de cette compagnie nous montrent leur savoir-faire, qu’ils nous fassent voir le monde d’Echenoz dans un format, une typo, une mise en page et une illustration de couv ; qu’ils fassent de même avec chacun de leurs auteurs ; et on verra qui est « éditeur » dans ce monde.

Gallimard de même peut remballer sa collection blanche, et tout ce qui nie fondamentalement qu’un livre est aussi un objet graphique, comme le savent bien toutes les traditions anciennes, chinoises, japonaises, arabes, européennes médiévales, doitquitter le champ de l’édition sous 48 heures.Dorénavant, on ne pourra plus faire semblant de croire que la stupide homogénéité est de rigueur. Elle n’était que la version formelle de contraintes économiques dépassées.

 

Plus et moins d’auteur

Les retrouvailles avec l’autonomie consistent d’abord en un moins-d’auteur – à savoir que le nom disparaît de la couverture, que je ne suis pas dans la logique où quelqu’un qui y a intérêt indexe l’instance auteur pour l’isoler commercialement et la mettre en avant – avec possibilité d’attirer l’attention justement sur cette base de « voici QUI est l’auteur », une femme vraiment violée, ou une vraie critique d’art-pute – une biographie à vendre à ceux qui n’ont pas trop le temps de lire et préfèrent consommer du social, mais qui trouvent le magazine Voici trop court.

Mais plus d’auteur : parce que, dès lors que je maîtrise toutes les étapes, JE commande ; en quoi consiste cette maîtrise ? Justement, à m’effacer ou à me mettre à la bonne distance de l’œuvre – le texte, le livre, le graphisme, le son. La logique éditeur met l’auteur en avant. La logique auteur met l’œuvre en avant. (Tout vient du fait que l’œuvre ne peut jamais se mettre en avant toute seule (on ne réussit à faire apparaître de l’art SPONTANEMENT que dans la tête de l’auteur lui-même ; s’il veut transmettre, il faut communiquer). L’auteur se dévoue donc pour servir l’œuvre.)

L’auteur ne gagnera pas plus, par contre le lecteur gagne des baisses du prix du livre en édition première (oui, curieux n’est-ce pas ? Il y a plus de viande pour tout le monde parce qu’on a abattu trois espèces de super-prédateurs : l’éditeur, le diffuseur, le libraire.)

 

Réajustement terminologique

Une jolie hypocrisie fait que la mauvaise réputation de l’auto-édition (et son nom même) est due à l’édition capitaliste. Comme elle a capté, de force, l’essentiel de la production livresque, elle ne laisse que les miettes à la production-auteur, dont la qualité est souvent très faible. D’une part l’édition a complètement asséché la définition de ce que c’était qu’un LIVRE et qu’un AUTEUR, mais de plus, de cette manière c’est elle seule qui détermine la nature de ses propres déchets. La majorité des œuvres en auto-production, actuellement, consiste donc en : livres conçus COMME par l’édition traditionnelle (à savoir, comme pur support de texte, sans travail graphique, sans travail global), mais sans diffusion et piètres PARCE QU’elle les as refusés.

Question de mots : il suffit de comprendre que la pseudo « édition » sans préfixe, est simplement de l’ALTER-EDITION : des types qui n’ont pas pensé la substance du texte se mettent en situation de penser la forme du livre, avec toute l’inauthenticité, tout le ratage esthétique que ça implique (ça peut s’appeler kidnapping, prise en otage) ; par opposition, l’auto-édition redevient EDITION tout court, c’est à dire le processus naturel d’incarnation d’une idée texte-image en un objet texte-image par son auteur même (ça peut s’appeler création et engendrement). Dans les deux formes, il y en a bien une qui est ridicule, et c’est la première. Bonjour à Karl Marx.

Le principe de l’édition n’est pas atteint. Il n’y a aucun inconvénient à éditer quelqu’un d’autre. Juste, ce qu’on ne peut plus faire, c’est imposer des signes de chiotte sur de beaux textes, mettre un vergé là où il faudrait un couché et inversement, ne rien inventer dans la mise en page, aliéner les droits d’auteur A VIE, et filer 10% et moins en rémunération. ça, maintenant, c’est impossible, du moins avec moi : je ne marche plus.

 

Avis

Si des auteurs publiés ne voient pas trop d’inconvénients à sortir du circuit qui les exploite et surtout sape leurs livres, ils peuvent le faire savoir. On peut créer un site pour regrouper les publications inventives (il y en a certes déjà ici et là dans le secteur normal : chez Léo Scheer, chez Encre marine). Par contre, pas question de reproduire les saletés de l’édition traditionnelle en les travestissant en auto-édition; je pense l’avoir démontré, l’édition d’auteur diffère EN TOUT de l’édition traditionnelle – qui sous ses formes actuelles et en ce qui concerne les auteurscontemporainsdoit mourir, car elle n’est pas digne. Et on ne la pleurera pas.

Publier des livres, elle a trop souvent montré qu’elle ne savait pas le faire.

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