Lettre au Seigneur de mon Angoisse

I

 

Sur la grande ville, les parois

il neige, du moins je crois

ils mettent du sel dessus les routes tandis

que je repense, Seigneur

devant les aléas des météos,

à la beauté, Seigneur, de votre inexistence.

 

Y a-t-il une vie avant la mort

une cigarette après l’amour

la tristesse noire dans mes flancs dort

encore

et toujours, comme je regarde par la fenêtre

et tendrement regrette.

 

Vêtus de blanc et pourvus d’ailes

Tes anges sortaient d’une camionnette

Avec noté “ livreurs de sens ”

Sur les pare-brise avant arrière.

Ils laissaient deux bouteilles à chaque porte

Deux litres de ta liqueur forte

Que l’on ouvrait d’un coup de bec :

Tout comme les mésanges d’Angleterre

Boivent au goulot le lait de vie

Notre langue dans ton réceptacle

Coulait de ton frais lait de vie.

Chaque soir nous nous gavions de sens.

Ils passaient chaque lundi, chaque mardi, mercredi.

 

Voici le dimanche de l’après-vie, flash info :

“ Accident sur les Voies du Seigneur

et trois jeunes anges tués sur le coup

après une collision violente

avec l’absence du Seigneur ”.

Eh bien voilà, j’apprends la nouvelle,

Et je suis effondré. Et j’attends sur le flanc,

L’âme noire comme une corneille

J’attends depuis 25 années

Que le liquide soit envoyé.

 

Comme ce soir, Sire, j’ai la bouche sèche !

J’ai soif j’ai infiniment soif

J’eusse eu la bouche suintant de lait…

Pourquoi tu ne livres plus les bouteilles ?

Sire tu es avec moi, en moi ; maintenant, une larme d’eau j’ai bu

Et je suis déjà ivre

Du vin que tu ne bois pas

Je suis déjà repu

Des mets que tu ne manges plus

Car tes anges sont un jour partis

Et on ne les a pas vus revenir

Toi-même tu es tellement parti

Qu’on ne te verra plus nous ravir

Et tu nous manques par conséquent

Tu nous attristes certainement

Les lumières sur la route la nuit

Mènent en voiture à l’idée de votre oeuvre Seigneur.

 

II

 

Sire, Seigneur,

Ton monde n’est pas totalisable, et de plus, tu sens la cigarette,

devant ma fenêtre,

je te fume

avec amertume.

 

Sire, j’ai toujours dans ma poche de veste

Un petit paquet d’autels portatifs

Que je construis moi-même.

Je saisis une feuille souple

Dessus laquelle je note ton Nom

Je mets l’encens cancérigène dedans

Et fume le tout avec délectation

Afin de mieux détruire Ton OEuvre.

Sire ! Regarde comme ton oeuvre s’en va

Environ quatorze fois par jour

Et deux fois par semaine

Dans mes grands cendriers d’amour

Et remarque, s’il te plaît, qu’ils ne sont pas

d’argent ou de diamant comme les diadèmes

Voilà pourquoi je n’écris pas “ je t’aime ”.

Mon Seigneur je célèbre ton culte

En roulant la paperasse et les autres déchets

Je t’élève des tas de cendre et j’ai la gorge pieuse

Et dans mon ventre ce sont même des charniers

Nous sommes beaucoup comme ça à nous tanner

Je connais même des gens qui pour te plaire

Ont fait griller leur bite sur un réchaud d’appartement

Moi ma méthode c’est changer de bouche intégralement

Je te défends d’avoir jamais l’impression que je mens.

À ce jour en cette heure, de mes yeux veloutés,

Je cherche à retrouver ta trace

Dans l’envol lacté des fumées, elles, emmenées

Vers le ciel noir et blanc doucement évanoui,

Et pour quelles relations sans noyau, sans noyé

En quel tout autre ciel qui luit?…

De ma fenêtre mon oeil part

L’air inspiré agit comme drogue

Et j’hésite à parler des phares

Pris dans les tristes yeux des Dogues.

 

III

 

Sire, ce soir, à ma fenêtre, auparavant j’ignorais

qu’on pouvait faire des trous dans le ciel ;

Sire, j’ai les yeux à ras du ciel, et le manque de

lumière me frappe; me choque; irrite mon iris.

Sire, permets-tu que je t’appelle ainsi,

Sire, tu ne portes ni bottes de cuir, ni pourpoint

d’or, tu sens même une odeur qui me

dégoûte assez,

Sire, je ne te comprends pas.

Sire, lorsque mes yeux sont toujours secs, leur rendras-tu leur eau

en la vomissant d’un seul coup

dans un fleuve vagabond

ou bien le monde est-il un four

où tout flétris tu nous fais cuire

comme aliments déshydratés. Sire, je ne te le

demande pas. Sire, fais comme tu voudras.

Sire, je m’interroge, Sire, je crois que ta race

est pervertie, c’est un groupe de poneys

Noirs et gris,

Sire, le matin j’ai toujours l’impression

D’avoir à prendre le mauvais train.

Oui, Sire, chaque matin me regarde

Comme je chevauche ma peine

Sans entrain.

 

Sire, souvent le jour me trouve hésitant à subordonner

Mon acceptation

À ta qualité. Je voudrais être pianiste ou bien jouer du piano

Il y a des jours je crois je me jetterais à l’eau

J’ignore ce que je risque

Je doute de ce que je gagne

Je ne me sens pas toujours d’attaque

C’est pourquoi je renâcle. Par exemple

À midi j’ai mangé du maïs et du bœuf

Mais je ne me sens pas fort.

L’expliques-tu ?

Sire, l’anus du visiteur

Se crispe quand il est face à toi

Il a peur.

Car tu coules dans ses veines

En les gavant d’angoisse toxique,

Tu t’insinues dans ses muqueuses

Et tu serres.

Sire, tu n’es pas méchant, ni gentil,

Seulement très très liquide

Et assez contractile.

 

Sire, à l’université, je sors mon sac plastique et je mange

Du pain et du chocolat.

Comme un clodo.

Je fais pitié.

On rit de moi.

“ Regardez, il mange

du pain et du chocolat. ”

Oui. C’est vrai.

Sire, quelquefois, je trouve que je ne mérite plus mon nom d’homme

Alors je me fais appeler chien, martre, mygale ou papillon.

Sire, quand tu t’endors, tu désorganises mon Nom.

Tu désorganises mon Nom,

Et j’ai honte,

Tu désorganises mon Nom,

Et dans l’obscurité je fais

Crisser deux dents de loup sauvage

Contre toi. La nuit dernière j’ai dormi comme un chien

Roulé en boule

À l’arrière du taxi. J’avais honte.

 

Sire, écoute encore, j’ai quelque chose à te

dire, parfois je fais des plaisanteries sur toi,

Et dans ton dos je t’appelle “ branleur de chien ”,

Sire, je t’appelle “ Seigneur des Mondes ”,

Mais c’est pour rire,

Pour dire, par nostalgie

Qu’il y a totalité ;

Dans ma tête je t’affuble de

Boucles d’oreilles gitanes

Et je te grime outrancièrement.

 

Ça me fait rire un moment. Un moment seulement

Sire. Oui Sire. Oui c’est exact : quand je

n’ai rien à faire, je te victimise, ça me détend.

Car Sire, si je me casse le bras droit, je joue

du gauche non ? Sire si je perds mon cerveau

droit, je te gifle du gauche, non ?

Sire, quand je me déteste, je t’accuse, c’est bien pratique.

 

Sire, les hommes de vieille culture

Ne comprennent plus rien à ces

Mouvements d’objets puérils

À la surface d’une conscience éphémère.

Car nous ne savons pas renoncer

Avec toute la sécurité d’âme qu’il faudrait

À ces vieux lits uniques

Où couchait l’unité.

Moi clochard polymorphe

Dans l’Amérique géante

– Moi dans la petite chambre –

Je regrette tout cela trop.

 

C’est parce que je te trouve

Vraiment très beau

Comme un bronze

De Praxitèle

Ou un monstre marin

– Dans une brochure

Ou un étang –

Comme une perche

Que tu tends.

Je brûle d’apercevoir ta face

En lisant mon avenir

Dans un navet

Ou dans l’eau sous la glace.

 

IV

 

Il y a une rumeur qui circule dans ma tête

comme quoi je serais en ce moment même

m’adressant au Seigneur.

Malheur à moi !

C’est impossible !

Je ne ferai jamais ça

Car je suis trop rusé

Malin comme dix-sept singes

Parqués dans un laboratoire

Dégoûtant comme la loutre

Et vif comme le poisson

Jamais je ne gâcherai l’encre de seiche

Si précieuse des pécheurs

Pour asséner sur le Seigneur

Des coups de noyaux d’abricot

Pour comparer le Seigneur

À un éclair au chocolat rassis.

 

Sire, tu sais

Je crois vraiment que tu t’engouffres

Des doses démesurées de ces steaks de poney

Saisis à point sur une braise chaude

Je crois que tu préjuges fortement de notre inertie

Et c’est pourquoi je te compare

À un éclair au chocolat rassis

Fulgurant de lumière dans la bouche pâteuse

D’un extatique enfant laid.

 

Sire nous sommes beaux et nous te provoquons,

T’invitons, t’invoquons,

“Viens Seigneur nous allons

Dehors

Foutre la merde avec de l’Art

Des bandes néons et des plaques

En aluminium

Seigneur laisse là ton dominion

Ton pandémonium

Et tes autres Puissances

Et viens dehors

Sors ! ”

Mais tu ne veux pas venir

Drapé dans la dignité et l’absence

Ça te va bien, et tu es beau encore

Et tu es parfaitement dehors

Alors tant pis, tant pis encore.

 

Maintenant, considère ceci :

J’ai ici à ma droite

Cinq jaguars de topaze

Avec lesquels je puis t’exterminer ; quelle est ton attitude ?

Tu fais la mijaurée, l’air de rien. Quand je te regarde en face

J’ai l’impression d’une sale planète

Pendant sur l’univers ;

Je te méprise un peu

Et je lance mes animaux salés

À ta poursuite

Et tu n’as plus comme arme devant eux

Que la fuite.

 

Ô prodigue fournisseur d’empoisonnements subtils,

Dans ton laboratoire céleste

Se teste la réalité

Qui descend

Jusqu’à mes globes déments.

Ne trouves-tu rien de plus compliqué pourtant

Dans le but de me nuire

Que générer ces fades cuisines en formica

Pour me les injecter ? Et ces appartements glacés ?

Sire, parfois, je me surprends vraiment à douter

De l’excellence de tes armées chimistes, je me dis

Qu’à côté de Du Pont de Nemours ou de BASF

Ton industrie fait pâle figure

– D’ailleurs tu déposes le bilan à nouveau

cette année,

N’est-ce pas ?

 

Eh, je te comprends d’être las

Je le suis aussi parfois,

Mais laisse-moi te dire, Sire,

Si tu veux, je prends en charge toutes tes créatures,

Et je les chasse,

Je les revends, je les prends en tenaille,

Je les couche et je m’allonge dessus, et je leur fais subir

Les 7 Outrages du premier au dernier,

Je leur fais avaler

Ta triste vie bancale

Haute comme la Tour de Pise

Leur fais ingurgiter

Tes ailes de raies bipèdes aux câpres

Plumes comprises.

Si tu ne veux plus être l’alpha et l’oméga, je te remplace, Sire.

Je finis le travail. Je passe un coup de balai.

Je nettoie toute ta réussite, Sire.

 

Sire, je dois te l’avouer

Voici le gang intégriste

Qui chaque soir se rassemble aux fenêtres éparses

Jeunes gens à leurs fenêtres et qui t’attaquent

En méditant lentement et crachant la fumée dans l’air calme

À travers ton absence, et le long de tes joues

Nuageuses, éclairées par la ville orangée.

Sire ! Je dois te l’avouer

Nous avons découvert un vaccin contre toi,

Il est très efficace

Nous venons déposer les brevets

devant ta chaise de jardin vide

d’un dispositif surpuissant.

Sire, il consiste

en l’effacement systématique de toutes tes pistes.

Sire ! Tu ne passeras plus par le monde !

Sire ! Cette voie t’est dorénavant interdite !

Sire, nous t’intimons l’ordre

par des signes très clairs

d’obliquer illico par cette déviation

et que ton idée ne passe plus par nos yeux.

Sur toute ta route, tes voies de Seigneur, il est marqué

“ Pupilles : passage privé ”,

“Réservé aux résidents ”

En français en allemand

En turc et en yiddish ;

Sur le sol, quelquefois,

Se devinent des fosses dissimulées,

Que nous appelons tes niches.

Viens ! Essaye de passer !

 

Sérieusement, Sire,

Ce soir je suis le secrétaire pour t’écrire

Nous avons étudié ton cas autour d’une table ovale

Nous t’informons par la présente, Sire

Que ta place, mon cher Seigneur

Est dans une institution psychiatrique spécialisée un HP

Une clinique pour vieux Dieux

Pour les ratés comme toi que leur famille délaisse

Et qui sont sous antidépresseurs pour tout le reste de leur Éternité.

Pauvre Dieu !

Et maintenant

Attends-nous dans ta chambre comme je t’ai attendu

Chaque nuit pendant 25 années.

Tu verras c’est pénible, au moindre bruit

Tu vibres. Tu nous attends entrer.

[Tu nous verras entrer.

Et nous ne plierons pas, on sera intraitables.

On entrera.

(Ça y est, tu as deux mille ans ! Je te souhaite ton anniversaire

Chaque jour tu es plus mort que moi

Je t’allume des cierges de fer

Et je te cueille des lilas.)

 

Tu rejoindras alors, Seigneur, dans mes hangars

Tous ceux qui sont entreposés déjà

Centaines de centaines plus vieux que toi

Que je séquestre.

Isis et Osiris et les dieux mangeurs d’orge

Athena Nike, Baal, et Saint Georges

L’Imam caché les Anges et aussi Gabriel

Tous les démons déments des tribus d’Israël.

J’ai un appeau spécial et dans mon cœur

Je pousse le cri qui vous attire

Dieux je vous aurai tous j’aurai aussi la mort

J’aurai aussi Iesus Pantocrator

Dieux, je vous agenouillerai tous !

Dieux, je vous coucherai dehors.

 

Alors Sire, maintenant, je te déconseille formellement

De revenir

Le monde n’est plus ton territoire,

Et nous sommes toute une troupe de gens

Armés jusqu’aux yeux contre toi

Jette un coup d’œil avant d’entrer

Et tu verras les clopes les écrits et le reste

Et tu n’entreras pas.

Je t’assure, ose revenir, tu n’en sortiras pas indemne, on est assoiffés de sang,

Nous avons dans nos flancs

Toute une faim pour tes os. Nous avons faim de toi.

Sire ! Crois-moi !

Crois-en le délégué général

D’une vaillante armée d’hommes

Enragés et debout sur des lits basculés

Après avoir pensé à toi !

Maintenant dommage que tu ne sois pas passé

Avant

Maintenant que la fête est finie

Que les tables sont vides que nos ventres sont pleins

Deine Zeit ist vorbei

Insert coins.

Finis les “Ô Lord, don’t let me down I hope ”

Avec ma tête à la fenêtre

Je vais te l’affirmer peut-être

Tes rues sont vraiment des salopes

Et il est temps de dé-

Passer la nuit dans tes bras

Cela m’indisposerait fort

Passer la nuit dans tes bras c’est fini,

Car il est né le divin “ enfant-couteau ”.

Il sape les fondations dès tôt

Le matin ; questionnements, cauchemars

Fragile parcours sur ficelle noire

Plaie aux côtés des abricots.

 

Alors adieu Sire, et merci encore infiniment pour l’octroi

De cette respiration qui m’étouffe,

Et de ces yeux captant les horreurs kitsch

Et dommage, Sire, que tu aies rangé dans ta hotte la tuberculose, je me serais bien vu Te crachant avec le reste du sang comme un caillot

Accoudé

Paisiblement

Au pied de mon lit à mon armoire à linge

Bavant dans mon mouchoir de soie dentelle.

 

Et n’est-ce pas bien tranquille

Avec les animaux

Et les voleurs de têtes

Les poupées sans regard

Et les lions sans armure

Digne adhérent à ton association d’êtres vivants,

Contributeur fidèle de la production d’oxygène,

Toujours présent à tes distributions d’angoisses physiques,

Je te révère Sire, y’a pas à dire, ta puissance est grande.

Chaque fois que le tissu de la vie part en peluche,

Au doux lait de la vie c’est nous, c’est moi qui

Sauveur du monde bois à la cruche.

 

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