Mes suicides

Le début de la fin

Eh bien, on va continuer à tout balancer  🙂

Le suicide est avec l’inceste et le viol un de ces thèmes qui font grave chier les gens. Ils n’ont pas du tout envie d’entendre parler de ça, évidemment. Tant pis pour eux, je vais en parler quand même.

Quand on en parle, c’est parfois, rarement, dans des émissions de télé-pathos Evelyne Thomas / Mireille Dumas et feu Jean-Luc Delarue. Parfois ce sont des gens à visage découvert, parfois il y a toute la mise en scène de la parole anonyme, visage flouté ou personne de dos, voix filtrée. Ces émissions ont de la pub à vendre. Je ne vais pas faire comme ces gens.

Plus souvent, on parle du suicide comme d’un problème de santé publique et là on est dans la statistique – combien de gens se sont tués, quel âge ils avaient, quel moyen ils ont choisi, et autres paramètres.

Le site Infosuicide.org donne des infos fraîches et pondérées, je cite :

« Presque 1 décès sur 50 est un suicide

Environ 160 000 tentatives de suicide par an

Plus de 10 000 morts par an

(…) D’apres le barometre santé 2010 de l’INPES En 2010, 5,5% des 15-85 ans déclarent avoir tenté de se suicider au cours de leur vie (7,6% des femmes et 3,2% des hommes) et 0,5% au cours des 12 derniers mois. Les femmes sont en proportion plus nombreuses (0,7%) que les hommes (0,3%) à déclarer avoir tenté de se suicider au cours des 12 derniers mois. »

Je ne suis pas un chiffre ou une donnée, je donne mon nom, j’affiche mon visage, je ne vais pas (trop) donner dans le pathos – plutôt une sorte de « journalisme autobiographique », la bête humaine étudiant la bête humaine dans le miroir, et je vais parler du tabou sans tabou.

Le suicide a été et est toujours une tentation permanente. Cela dure depuis 1993 je pense, cela fait donc 20 ans, cela a commencé quand j’avais environ 16 ans, j’en ai aujourd’hui 35.

Les causes sont évidentes et je les ai déjà dites dans les autres articles de cette catégorie (autobiographie intégriste).

La mécanique est elle aussi évidente : les psys (les vrais, ceux qui écoutent, pas les chimistes qui prescrivent des médicaments-assommoirs pour nous faire fermer notre gueule) savent que viol, violence, inceste, abandon, sont tous des équivalents de « meurtres psychiques« . On veut mourir parce qu’on se sent déjà mort parce qu’on a été tués il y a longtemps. Un corps souffrant survit, il y a des émotions, des pensées, mais elles sont d’un fantôme.

On connait la résilience – la capacité du psychisme (un mot comme un autre, à connotation technique : j’aurais pu prendre âme, mais ça sonne religieux et je suis athée ; j’aurais pu dire esprit, mais ça sonne spiritualiste et je suis matérialiste… donc, disons psychisme, ça sonne psychologique et c’est de cela qu’il est question). Je l’ai vue à  l’œuvre, cette résilience. Mais il n’empêche, la récupération ne sera jamais que partielle. Plusieurs parties de moi sont mortes à tout jamais, à diverses époques, tant pis pour elles.

Allez, entrons dans le vif du sujet mort.

Historique d’une obsession morbide

Mes premières pensées suicidaires, je les date donc de 1993-1994, 16-17 ans. C’était ptet 15, l’amnésie a énormément ravagé cette période dans ma tête et ma psychanalyse ne m’a permis que de récupérer une partie des souvenirs.

L’idée, grosso modo, était que c’était déjà fini pour ma pomme, j’en étais persuadé : avec ce que j’étais, avec ce que j’avais autour de moi, il n’y avait pas moyen de faire une vie, ça ne menait qu’à la tristesse, à la souffrance, donc à l’envie d’en finir.

Cela a ouvert une grosse période suicidaire pour moi, qui a duré je dirais jusqu’à mes 19-20 ans.

J’avais l’idée de deux modes opératoires pour me tuer.

1/ Me trancher les veines. Dans cette intention, j’ai commencé à rassembler divers petits objets très coupants dans une boîte, et à me scarifier. J’avais un scalpel, des lames de rasoir, et des bouts de verre. Je me coupais les veines au niveau du poignet et du creux du coude. L’impulsion était là, mais la douleur me faisait trop peur, ça n’a abouti qu’à diverses blessures superficielles. Une fois ça s’est remarqué au lycée, divers amis ont vu mon poignet lacéré, des profs aussi, mais personne n’a rien fait. C’est dommage parce qu’à l’époque il était encore temps de porter plainte pour la dizaine d’agressions majeures subies les 10-12 années d’avant, mais je n’étais pas du tout dans cette logique, je ne savais rien du droit ni des putains de lois françaises, et les pauvres de HLM ne vont jamais contacter un avocat, ils savent qu’ils ne pourraient pas payer rien que deux heures de boulot de ces amis de l’argent (qui prennent la bagatelle de 250€/l’heure en moyenne, ben voyons, enflures…)

J’ai déjà parlé de mon ami de lycée Arnaud Pelletier (cf ma liste des Horreurs), mort à 28 ans le soir de la sortie de ses 2 premiers livres. Lui aussi, ado, se scarifiait, mais lui a été considérablement plus loin que moi. Un soir, il devait avoir 18-19 ans, dans un parking, il s’est tranché la gorge avec un couteau à viande ou à pain. Je n’étais pas là, on ne se fréquentait plus, on entrait à l’université. Il lui en est resté une blessure énorme, genre 20 centimètres de long et un demi-centimètre de large. Je ne sais pas comment il a fait pour rater la jugulaire. Mais c’est bien, il a pu vivre 10 ans de plus – au cours desquels il n’a jamais été très heureux, enfermé qu’il était par l’hôpital psychiatrique de Chaumont.

2/ La deuxième méthode de suicide qui me fascinait était le saut dans le vide. J’ai tenté le diable plusieurs fois.

Mes souvenirs ne sont pas très clairs, mais en gros :

– Une fois, ma mère est entrée dans ma chambre et elle m’a trouvé suspendu par la fenêtre de ma chambre – à l’extérieur. On habitait au 4è étage du HLM. J’étais face au vide, je me tenais par les mains en me demandant si j’allais le faire ou pas. Ma mère a été très surprise, elle n’était pas bourrée ce jour-là, elle s’est mise à paniquer et pleurer presque instantanément, ce qui m’a agacé. Elle ne m’avait jamais donné l’impression de tenir à ma vie, elle qui m’insultait quotidiennement et m’avait négligé depuis des années. Je suis donc revenu du bon côté de ma fenêtre pour la repousser et verrouiller la porte. L’incident m’a fait passer l’envie de sauter pour cette fois-là.

– Une autre fois, on était au « Donjon ». Chaumont est une vieille cité médiévale construite sur une butte (d’où son nom, « le mont chauve ») et il y a en plein centre-ville une sorte de château, dont un des murs donne sur, je dirais, environ 300 mètres de vide, avec la plaine en bas. C’est bien abrupt. J’aimais bien marcher sur le muret, faire tout le tour, entre l’espèce de square d’un côté et le vide de l’autre. Le problème est que je suis tombé – mais pas dans le vide, non, j’avais atteint le bout du muret et, quand j’ai perdu l’équilibre, j’ai eu un réflexe. Je suis tombé en arrière sur un dénivelé 3 mètres plus bas, et ma tête a violemment heurté un mur. J’étais avec ma copine de l’époque, Fleur, qui a dû avoir très peur je suppose ? je ne me rappelle plus de sa réaction. Je me suis relevé aussitôt, rien de cassé, mais un ptit problème : j’avais un liquide jaune qui me coulait du nez. Je me suis dit que c’était du liquide cérébral, que le choc avait du casser une membrane dans ma tête ? J’ai laissé couler et ça s’est arrêté tout seul. Pas de séquelle. L’idée venait de Jim Morrison, via le film The Doors qui m’avait fasciné, j’étais fasciné par ce groupe, je le suis toujours, et avec Fleur on écoutait The End en boucle en faisant l’amour – faire l’amour avec elle ça me réparait, ça me donnait envie de vivre, elle m’a beaucoup aidé, je te remercie fleurette 😉

3/ Une troisième méthode c’était les drogues et les médocs. J’avais envie de me bousiller la gueule, pour dire les choses comme elles étaient, je me haïssais, je me sentais sale (–> viol), indigne, illégitime (-> abandon), faible (violences, agressions à l’école / au collège / au lycée, violence conjugale de mon beau-père sur ma mère), idiot et ignare (-> double abandon, mon père parti quand j’avais 4 ans, ma mère dans les vapes 90% du temps).

Un soir donc, avec Fleur et Arnaud, dans ma chambre, dans le HLM, on avait chopé une bouteille de whisky, Arnaud avait amené un peu de shit, et des barbituriques. Je n’étais pas du tout fumeur de cannabis à l’époque, et mes premières expériences avec ont quasi toutes été des bads trips. J’ai détesté cette drogue, avant d’apprendre à m’en servir créativement et comme un moyen de me gérer psychologiquement. Je pouvais boire, mais occasionnellement. Et les médocs j’en prenais pas. On a donc bu, fumé, et j’ai voulu tester l’effet des médocs d’Arnaud. Mauvaise idée. Sur le moment, pas de problème. On a discuté, écouté de la zique, Fleur et Arnaud sont partis. Je me suis endormi. Je me suis réveillé environ 36 heures plus tard, en état de crise de tétanie. Un truc très bizarre, je ne contrôlais plus mon corps. Mes muscles se crispaient dans un sens, puis dans le sens opposé, me laissant une impression de totale aliénation à moi-même. Mes mâchoires se serraient, j’ai eu peur de me casser les dents, puis sans transition, c’était le contraire, ma bouche s’ouvrait grand comme la gueule d’un squale et je ne pouvais rien faire contre. J’avais super faim, dans un moment de rémission j’ai essayé de manger des sardines en boîte avec un morceau de pain (ma mère comatait dans sa chambre, comme souvent) mais la crise est revenue – bouche grande ouverte, pas moyen de mastiquer ni d’avaler, j’ai dû retirer ce peu de nourriture avec mes doigts. ça a fini par bien me faire peur car ça ne se calmait pas. J’ai réussi à appeler ma tante qui a appelé le SAMU. Ils se sont très bien occupés de moi, m’ont amené en urgence à l’hôpital public (celui qui a massacré ma mère en 2011, elle est aujourd’hui handicapée à cause de leurs lourdes erreurs médicales, j’obtiendrai justice contre ces gens car là, j’ai 8 ans devant moi, c’est pas prescrit). L’hôpital m’a mal accueilli : alors que la crise revenait et que les muscles de mon dos et de mes jambes se durcissaient à nouveau et me courbaient en arrière, 3 infirmières se sont foutu de ma gueule. Ouais, carrément, elles ont ri de ce qui m’arrivait les connasses. L’une d’elles m’a fait une piqûre de Tranxène ou de Valium. ça m’a calmé très rapidement. Je suis resté en observation quelques jours, mais je voulais me barrer de là – j’aime pas l’odeur de ce lieu et j’aime vraiment pas les médecins, traîtres. On m’a fait voir une psychiatre : tout ce que cette conne a trouvé à dire, c’est que j’avais trop lu Antonin Artaud. C’était sa conclusion, son diagnostic : j’étais trop influencé par mes lectures littéraires et mon goût pour le rock et le punk… Je venais de me faire violer, je vivais avec un tyran domestique, j’étais forcé à partager le quotidien d’une alcoolique qui est allée jusqu’à boire de l’alcool à 90° mélangé à du sirop de menthe un dimanche où les magasins d’alcool étaient fermés et qu’elle était en manque, et tout ce que la psychiatre a dit c’est que je lisais trop. Là encore, c’est prescrit, mais ça, c’est faute lourde. Ils auraient pu me tirer de là, me soigner, essayer de me faire parler et de me comprendre, ils n’ont strictement rien fait ces enfoirés professionnels. Ni pour moi, ni pour ma mère, ni pour ma petite soeur qui en a bavé aussi. Là, c’est la médecine publique et l’Etat qui nous ont abandonnés à notre sort.

Une autre fois, j’ai volé une boite de Tranxène à ma mère, la variété la plus dosée, 50mg je crois. J’en ai pris 1, puis comme je ne sentais pas l’effet, j’en ai pris 2, 3, et finalement 9. Pas de séquelle, là aussi ça m’a fait dormir un bout de temps, et personne n’a rien remarqué. Le lundi, j’étais de retour au lycée, ça va bien la prof de math, pouffiasse, et ce con de prof d’histoire totalement inintéressant ? Tout était normal.

4/ La 4è méthode a été la bonne. J’ai décidé de devenir écrivain. Ce choix était aux antipodes de tout mon monde, et était fait pour le retourner, le dénoncer, le contredire totalement. La beauté des œuvres de l’art et de l’esprit, c’était l’exact contraire de mon quotidien, famille, classe, milieu, quartier, ville, région (la Haute-Marne est un des départements les plus ruraux de France, seules la Lozère et la Corrèze et la Creuze font pire). Les 3/4 des citoyens sont des vaches qui portent des numéros aux oreilles, un peu comme les nazis tatouaient les juifs, j’ai toujours eu pitié de ces vaches, viande sur patte stockée dans nos champs par ces bouseux dégueulasses de paysans que j’ai bien connus.

Cette décision de devenir écrivain, ce projet, a suscité l’incompréhension et le scepticisme, voire les moqueries, de tout le monde autour de moi, tout le monde à part Arnaud, Fleur, Célia, et Sébastien, grosso modo. Qui aurait pu croire que j’allais écrire plus d’un million de mots en fiction, publier 6 livres avant l’âge de 32 ans, gagner 2 bourses nationales ? Eh bien moi je le croyais. Mon intelligence et ma capacité à apprendre et à me développer étaient la seule foi qui me restait, la seule base sur laquelle construire.

Et c’était véritablement un suicide, l’écriture. Je me suis coupé de tout le monde, j’ai viré mes amis, je ne leur ai plus adressé la parole, je suis devenu muet. Personne n’écoutait, à quoi servait de parler ? Mon quotidien, tout mon temps libre à part le lycée, puis l’hypokhâgne, puis la fac, ont été consacrés d’abord à la lecture – pour m’instruire – et à l’écriture (c’est l’époque où j’ai volé 400 livres aux bibliothèques française, petite vengeance contre mon exclusion par réappropriation inconditionnelle du patrimoine de l’humanité, qui m’appartient comme à n’importe qui d’autre, or on m’avait privé d’accès à cette culture, eh bien pas de problème, j’ai forcé la porte et je suis entré dans l’art par effraction). J’ai cessé toute sortie, tout loisir. Cela a duré une dizaine d’années, en gros. Cela dure toujours mais à un niveau moindre (même si je viens de passer 6 mois seul en écrivant environ 1200 pages d’analyses narratologiques en anglais et en français 😉 ).

A la rentrée 1995 j’ai déménagé à Grenoble, autonome pour la 1ère fois. Cela m’a fait beaucoup de bien de ne plus vivre avec ma mère et mon beau-père, ni à Chaumont où il n’y a rien à faire. En même temps cela m’a totalement désorienté. Je n’étais pas adulte, je ne savais pas gérer ma vie, j’étais en souffrance, les blessures à vif, pas du tout soigné. J’ai rapido mis fin à ma présence en classes prépas littéraires qui prétendaient former une élite que moi j’aurais voulu déboulonner. Je me suis inscrit en fac juste pour la thune, j’étais échelon maximum, 20 000 francs par an. La mort était toujours très présente. J’étais anorexique, pour 1m84 je suis descendu jusqu’à 52 kilos. Je ne voulais plus dormir non plus, je me forçais à dormir entre 1 et 5 heures par nuit. Une fois, je me suis enfermé dans un placard en position fœtale en essayant de mourir par la pensée. ça n’a pas marché. Mais la mort m’obsédait, je me réveillais et c’était ma première pensée, qui ne me quittait plus de la journée, il fallait que je me force pour me concentrer sur les tonnes de livres que je lisais à l’époque (j’en ai lu plus de 2000 en 10 ans, j’ai compté, je tenais des carnets avec les références, carnets que j’ai balancés lors d’un déménagement inconfortable.)

En 1996 on a déménagé à Nancy avec Fleur. A partir de là, j’ai commencé à aller mieux. Manger mieux, dormir mieux, et souffrir moins. En fait, cette période a été un moment de travail d’amnésie, j’ai voulu tout oublier de toute ma vie d’avant. Je n’ai plus eu aucun contact avec ma famille jusqu’à environ 2002 je crois. J’ai commencé à construire mon œuvre littéraire, – mon premier texte publié, Huit proses tristes, a été écrit à Noël 1996, que j’ai passé seul chez moi à Nancy. En 1998, toujours avec Fleur, nous sommes allés vivre à Montpellier. J’ai adoré le climat chaud, le soleil, le ciel bleu. Pour la première fois de ma vie depuis l’enfance je me suis senti bien et heureux, j’en ai gardé un souvenir vif, notamment d’un jour où il faisait beau et où je regardais fixement une façade d’un beau jaune, et je prenais plaisir à me sentir heureux sans raison. Aussi, j’ai eu un chat, Dôgen, et ce chat a réjoui ma vie. Ce chat n’était pas psychanalyste mais il était très affectueux, et moi je suis très doué avec les animaux qui m’adorent comme je les adore, en général, sauf les animaux traumatisés qui peuvent être méchants, par la faute des hommes. Les idées de mort se sont faites moins fréquentes. 1998 a été une année miraculeuse pour moi au niveau artistique, j’ai écrit coup sur coup Perfection, The Farm, la première version courte de New York, et d’autres textes que j’ai développés ensuite. J’ai pris confiance, je me suis dit : tout ce que j’ai vécu est laid, mais ma passion pour les livres m’a finalement rendu capable d’écrire d’une belle manière. Sauvé.

L’amnésie peut bloquer l’accès des traumas à la conscience, mais ne les règle en rien. La souffrance est donc revenue. J’aurais du mal à dater, mais vers 2001 j’ai essuyé une sacré crise morale. J’ai commencé à écrire Scènes de la vie occidentale, qui a été publié en 2005 et que j’ai renommé CRASH depuis. J’étais pessimiste, je ne voyais pas comment j’allais faire pour m’intégrer à cette société dont toutes les valeurs, les formes, les mœurs, me sortent par les yeux. Mes publications n’ont pas arrangé les choses : celle de Perfection en 2000, de Tandis qu’il serait sans parfum en 2002, d’Histoire du jeune homme bouleversé en marche vers la totalité du réel en 2003, m’ont fait complètement déchanter. Vous voyez, mon projet, c’était de me refonder positivement, pas comme victime, mais comme créateur, comme quelqu’un qui pourrait ajouter de la beauté dans le monde en évitant de faire du mal à autrui et à la nature. Je n’ai rencontré que très peu de succès. La critique est bien faible en France. Des connards sans talent tiennent le haut du pavé, des connasses aussi il faut dire. Mon site littéraire, en 2000, m’apportait du trafic, donc une marque d’intérêt, une justification. Mais les centaines de pages vues ne payent pas le loyer. Je ne voulais pas vendre ma vie à des entrepreneurs ni à l’Etat, donc pas question d’être prof ou employé. Je voulais écrire, et cette société s’en foutait.

En 2002, on s’est séparés Fleur et moi, d’un commun accord. Elle a vécu la rupture beaucoup mieux que moi, normal, elle est plus équilibrée, elle n’a pas été traumatisée. Cela m’a laissé seul, sans famille, sans boulot, et sans trop d’occasions de me faire des amis. C’est mon site qui m’a rapporté énormément d’amis aux 4 coins de la France puis du monde. Mais ça manque de présence, de chaleur.

De 2006 à 2008, j’ai fait une psychanalyse. J’en avais bien besoin car je traînais des casseroles, dans mes idées pas claires sur certains sujets ou mes comportements imprégnés de cette violence qui est venue m’habiter. Cette psychanalyse m’a énormément fait progresser, et libéré, mais elle m’a aussi ramené au bord du suicide : en retrouvant la mémoire, j’ai dû affronter à nouveau les « 10 crimes » et toutes les autres anecdotes plus mineures mais dont l’accumulation a eu un effet dévastateur. J’ai versé énormément de larmes dans ces deux ans de psy 2 fois par semaine, une mer de larmes. Je me vantais auparavant de n’avoir pas pleuré depuis 10 ans… J’aurais dû pleurer plus tôt au lieu d’essayer de faire le fort, ce n’est pas dans le déni qu’on avance. Une copine qui m’avait dit que j’étais l’homme de sa vie, qui était folle de moi, ah mon humour, ah le sexe, ah mes superbes romans et poèmes, m’a quitté 9 mois plus tard en me disant : « j’aime l’écrivain, pas l’homme ». Merci Olivia. L’idée de la tuer avant de me tuer moi m’a traversé l’esprit, sans y rester. J’ai eu ma deuxième bourse littéraire en 2008, j’avais prévu de me casser de la France sarkozyste de toute façon, j’ai donc déménager à Berlin où j’ai vécu énormément de belles choses et échangé énormément d’amour et d’amitié avec des centaines de personnes. J’ai eu 30 copines en 2 ans. Puis j’ai choisi le célibat volontaire pendant 1 an et demi. La frénésie érotique et la frénésie festive étaient bien sûr une réaction à toute la merde que je venais de remuer dans ma mémoire. Cela n’a pas pu s’opposer durablement à un mouvement de fond de dégoût envers moi-même, de lassitude et d’impression de ne pouvoir jamais voir le bout du tunnel. Il y a eu une énorme crise, la plus énorme que j’aie connue, et cette fois, j’ai vraiment préparé mon suicide d’une manière rationnelle, pas impulsive comme à l’adolescence.

Je l’ai médité longtemps, pendant des semaines. J’ai effacé tout ce que j’avais fait, le site littéraire bien fréquenté que j’avais depuis 9 ans, mon compte dailymotion et beaucoup d’autres choses, j’ai voulu disparaître de la sphère publique, mourir sans laisser de traces. J’ai passé des heures à chercher une méthode de suicide qui soit à ma portée et pas trop cruelle. Je suis tombé, en cherchant des poisons violents, sur le fait que la nicotine est d’une puissance mortelle équivalent au célèbre cyanure, et j’ai appris que la nicotine se dissout dans l’eau. J’ai été acheter 6 paquets de tabac et je les ai laissés tremper dans un peu d’eau toute une nuit. J’étais très mal dans ma peau et dans ma tête, j’ai passé de sales heures, tremblant et pleurant. Est venu le moment de boire la potion magique. J’ai commencé, et ça m’a filé la nausée direct. La décoction avait un goût absolument infâme. Je n’ai pas pu boire.Le mec, ex-ami, avec qui j’habitais, était au courant et n’a pas bougé le petit doigt, on en a reparlé plus tard, il se sentait impuissant – et l’était.

J’ai envisagé d’autres solutions. Il y a plein de lacs à Berlin, j’ai donc imaginé d’aller nager jusqu’à ce que je sois trop à bout de forces pour pouvoir revenir sur la terre ferme. J’ai imaginé trouver un point haut d’où sauter, mais d’où on ne me retrouverait pas, car je voulais juste disparaître, par traumatiser mes proches par ma mort. Puis il y a eu d’autres fêtes, d’autres rencontres, d’autres amours, et je suis revenu à la vie une fois de plus. Depuis, ça va.

J’ai appris, avec les années, à éviter les problèmes, ne pas faire les choses qui me font peur, ne pas fréquenter les gens qui ont trop en commun avec ceux qui m’ont brisé. J’ai appris à cuisiner, essayé (en vain) d’arrêter de fumer du tabac, essayé une autre thérapie, la Méthode Grinberg, qui marchait très bien mais que je ne pouvais pas payer – c’est 50€ la séance.

Voilà, c’est la fin de ce récit et je vais passer au problème suivant, si ça vous intéresse.

Que faire quand vous rencontrez des gens suicidaires ?

Fermez-la et écoutez.

Beaucoup de gens croient utile de donner au suicidaire des conseils avisés, ou d’essayer de partager leur vision du monde, comme quoi par exemple « la vie est belle » et « un jour, tu seras heureux ». De tels discours sont parfaitement vains, n’ont aucune efficacité thérapeutique et ne satisfont les besoins psychiques que de celles et ceux qui les tiennent.

La meilleure chose que vous ayez à faire, c’est de dire : je suis là pour toi et je t’écoute. Cela ne signifie pas que vous êtes disponibles à 100% et tout le temps, non, vous gardez vos limites. Mais vous vous rendez disponibles pour écouter. L’indifférence, le silence et l’incompréhension donnent envie de crever. L’écoute donne envie de parler et pour parler il faut vivre. La parole libère. Quand on peut dire « je me sens terriblement mal », on retrouve du contrôle sur soi.

Il faut bien comprendre que les pulsions suicidaires échappent quasi-totalement au contrôle de la personne qui les vit. La rationalité glisse sur l’âme du suicidaire comme l’eau sur l’aile d’un canard. Dans mon cas, le fait d’avoir reçu des tas de compliments, d’avoir été primé, d’avoir été aimé, n’efface en rien l’immensité des traumas initiaux, toujours actifs, toujours méchants. Le rappel aux réalités positives quand on est dans des états-limites ne sert strictement à rien.

Donc en fait, la seule chose à faire est de laisser les gens gerber leurs mauvais sentiments – haine, peur, honte, humiliation, désespoir, saleté, douleur, souffrance, etc. Bien sûr, rien de tout cela n’est agréable à entendre, mais vous vous proposiez d’aider, ou pas ? Si vous êtes en état d’aider, c’est un sacrifice que vous faites, vous en paierez le prix sans être payés de retour et on ne vous dira même pas forcément merci, même si souvent, l’écoute crée un fort attachement. Les suicidaires veulent en finir parce que rien ni personne ou presque ne donne place à cette part brisée d’eux-mêmes. Si vous leur donniez l’impression de penser à leur place ou d’en savoir plus qu’eux, cela ne ferait que confirmer ce qu’ils ou elles pensent d’eux-mêmes ou d’elles-mêmes. D’expérience, on sait que les crises aiguës passent, et que les sujets récupèrent ensuite et redeviennent capable de fonctionner plus ou moins normalement.

Je l’ai fait plusieurs fois, avec d’autres blessés de la vie. L’écoute fait beaucoup de bien.

Voilà, cette fois c’est fini – enfin, cet article, pas la vie 😉

 

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